vendredi 5 novembre 2010

Arthur



Voilà plus de six heures que les contractions sont là, plus ou moins régulières, mais de plus en plus douloureuses. J'hésite à aller à la maternité. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai fait un faux travail, et puis après tout à la préparation à l'accouchement toutes les sages-femmes sont formelles: "N'allez pas à la maternité tant que vos contractions ne sont pas régulières et espacées de sept minutes depuis au moins une heure".

Élève obéissante, je patiente donc chez moi... mais je commence à m'interroger: certes mes contractions ne sont pas régulières, et elles sont plus ou moins espacées d'une dizaine de minutes, donc a priori le bon moment n'est pas encore venu. Par contre, cette douleur croissante m'interpelle, et me rappelle un souvenir bien précis, celui d'une douleur reconnaissable entre toutes: et si mon bébé arrivait?

Poussée par mes copinautes de grossesse, j'appelle donc la maternité qui, à ma grande surprise, me dit de venir sans tarder.

19h30. Pliée en deux toutes les 10 minutes, soutenue par Sam, j'arrive aux urgences de l'hôpital. Inutile de préciser l'objet de ma visite, la femme qui gère les arrivées me fait passer devant tout le monde. Je dois probablement me promener avec une bulle flottant au-dessus de ma tête: "Poussez-vous de là, j'accouche". On me guide jusqu'à une salle de pré-travail équipée d'une baignoire: cool, je vais pouvoir me détendre dans la baignoire! Une étudiante sage-femme m'accueille. Elle me semble tellement jeune que je me demande presque si elle sait comment ce bébé s'est retrouvé dans mon ventre. La communication est un peu difficile: elle a une grosse crève, porte un masque médical duquel ses yeux larmoyants semblent sortir en jaillissant, et elle parle du nez.

Pendant qu'elle m'installe sur le lit pour la traditionnelle session de monitoring, elle m'interroge sur mes contractions. Malgré le masque, je devine dans ses yeux fiévreux qu'elle émet des doutes sur l'imminence de mon accouchement. Des contractions toutes les dix minutes? et pas régulières, en plus? pffffff... Le monitoring est en place, deux sondes sont placées sur mon ventre: une pour capter les contractions, une pour suivre le rythme cardiaque du bébé. L'étudiante sage-femme commence à me faire comprendre que finalement je serais peut-être mieux chez moi, et puis il faut savoir aussi que la sage-femme qui gère les urgences est toute seule ce soir (hein?!?!), et bla et bla et bla.

La sage-femme passe me voir en coup de vent. Elle me semble d'emblée sympathique: une Antillaise souriante, la quarantaine, des lunettes aux montures colorées. Par-dessus son badge d'hôpital, elle s'est accroché une petite plaquette en bois où un coucher de soleil est peint de façon enfantine, le tout pour présenter son prénom: "Véronique". Voilà qui est de bon augure pour moi! Elle m'ausculte: un col péniblement dilaté à 2 cm, des contractions irrégulières mais bien présentes, le rythme cardiaque du bébé impeccable. Je commence à me dire que je suis encore en train de faire un faux travail et à culpabiliser d'avoir dérangé tout ce beau monde pour rien, mais je la vois hésiter. Elle se penche sur moi: "Je vois votre douleur. Je vois votre douleur, elle est bien là. On va vous monitorer une petite heure de plus, histoire de voir ce que ça donne". Et le monitoring continue...


20h00. Je sens un liquide chaud qui coule abondamment entre mes jambes. La poche des eaux vient de se rompre spontanément, sans crier gare. C'est une expérience nouvelle pour moi: pour mon premier accouchement, je n'avais rien senti au moment de la rupture de la poche des eaux à cause de la péridurale. J'avoue être un peu stupéfaite: j'étais persuadée que l'accouchement n'était pas pour ce jour-là. J'appelle l'étudiante sage-femme, qui semble être encore plus stupéfaite que moi, et qui ne croit à la rupture de la poche des eaux qu'après avoir vérifié par elle-même.

En tout cas, le protocole médical est clair: maintenant que la poche des eaux est rompue, ils ne me laisseront plus rentrer chez moi. Et adieu la relaxation dans la baignoire, ça m'est désormais interdit à cause des risques d'infection. On va me transférer dans une chambre au service des grossesses pathologiques, car il n'y a plus de place ailleurs. En attendant, je reste là. Les contractions changent rapidement de visage: elles sont de plus en plus fortes, mais de moins en moins régulières. Totalement chaotiques. Je commence à me dire que le travail va être long, très long.

La douleur devient difficile à supporter. Hors de question de rester clouée sur ce lit, c'est la pire des positions pour gérer les contractions. Je tourne alors dans ma chambre comme un fauve en cage. Chaque fois que je sens une contraction arriver, je me cramponne à la barre du pied de lit, me penche en avant pour soulager mon ventre, et tente tant bien que mal de respirer. Je n'y parviens pas, et la raison en est toute simple: je m'oppose clairement à la douleur, je tente bien vainement de lui barrer le passage en crispant chaque parcelle de mon corps, et tout mon être n'a de cesse de répéter "non!".

21h00. Un brancardier assez sympathique mais un peu blasé (il faut dire, quel métier!), avec de grandes lunettes et un oeil qui dit merde à l'autre, me propose de m'amener en chambre en fauteuil roulant. Il a la tronche de Jean-Paul Sartre. Le trajet jusqu'à la chambre me paraît interminable. Les douleurs des contractions sont telles qu'à chacune d'elles je demande à Sam de me sortir du fauteuil roulant en urgence. Je cache mes yeux dans mes mains, dans l'enfantin espoir que plus personne ne me verra: je refuse que ma douleur soit visible, ça lui donnerait trop le dessus sur moi. Et surtout, que personne ne me touche: c'est entre elle et moi.

C'est une chambre double. Une jeune femme enceinte de quelques mois y est installée, elle regarde paisiblement Desperate Housewives à la TV. Le brancardier se démène pour que mon lit soit prêt, alors que je m'échine à lui expliquer que le lit est le dernier endroit où je souhaite être pour le travail. Je suis gênée que la voisine de chambre assiste à ce qui commence à s'apparenter à ma lente agonie, et en plus je n'ai pas envie de lui faire peur sur ce qui l'attend dans quelques mois. Tous mes muscles tremblent à force de se crisper à chaque contraction. Je décide de sortir dans le couloir.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, je trouve ce long couloir d'hôpital apaisant, et je me dis que c'est l'endroit idéal pour gérer le travail. Sam part me chercher le ballon qui était resté dans la voiture. A l'écoute de mon corps, je m'installe dans une position que je ne quitterai que lorsque je passerai au bloc des naissances: assise jambes écartées sur le gros ballon, les bras croisés sur la barre de soutien qui parcourt tous les murs du couloir, le buste penché en avant, la tête enfouie dans le creux des bras.


Mes contractions sont plus anarchiques que jamais: tantôt espacées de cinq minutes, tantôt de dix, tantôt de deux... parfois elles durent vingt secondes, parfois deux minutes. La seule constante, c'est la douleur: invariablement croissante.

Le couloir est désert. Sa nudité et ses lignes géométriques m'apaisent. Je décide de changer mon fusil d'épaule: mon combat contre la douleur est évidemment perdu d'avance, alors autant perdre le plus dignement possible plutôt qu'en me débattant vainement. Démarche volontaire ou non, le saurai-je un jour, je décide alors d'ouvrir les portes à la douleur. Je ne la combats plus. Je ne me crispe plus. Au contraire, c'est quand la douleur se fait la plus présente et pressante que mon corps et mon esprit s'ouvrent le plus. Je suis dans le lâcher-prise le plus total. La douleur s'engouffre en moi, telle un fleuve qu'on aurait maintenu trop longtemps en respect derrière un barrage qui cède brusquement.

Je puise alors mes dernières ressources dans mes souvenirs de yoga. Je visualise la flamme d'une bougie. C'est une flamme douce et suave. Quand la contraction monte, j'inspire lentement par le nez, en commençant par la respiration abdominale et en finissant par les poumons. Puis, j'expire doucement, très doucement, assez doucement pour que la flamme ne s'éteigne pas: elle a le droit de vaciller un peu, mais pas de s'éteindre. Tout en expirant, je visualise une colonne d'air qui descend, descend, descend jusqu'à mon périnée.

La douleur est quasi-permanente, mais petit à petit elle est intégrée à ma respiration, à mon corps, à moi. Je ne lui oppose aucune résistance, au contraire: je l'accueille. La flamme ne vacille même plus, la montée de douleur n'est plus redoutée, mon esprit commence à se détacher de ce corps brisé par la souffrance. L'état dans lequel je finis par me trouver au bout de quelques heures à ce régime est proche de ce qu'on pourrait définir comme étant... une transe.

23h00. Une sage-femme m'examine, le col est dilaté... à 3 cm. A ce rythme-là, dans trois jours j'y serai encore! La sage-femme me donne le choix: soit je pars en bloc naissance maintenant avec possibilité d'avoir la péridurale tout de suite, soit je patiente une petite demi-heure de plus pour laisser une chance à mon col de s'ouvrir un peu plus. La première option est séduisante, mais je sais très bien ce que ça signifie: la péridurale ralentit souvent le travail, alors là ça n'en finirait jamais! Je décide donc de patienter une petite demi-heure de plus, tout en blaguant avec la sage-femme: "Z'avez pas intérêt à me faire rater la péridurale, hein!"; elle m'assure que j'aurai le temps pour la péri. Je m'inquiète un peu des effets de mes contractions sur le bien-être de mon bébé, du coup la sage-femme me propose de reprendre un monitoring. Je lui suis très reconnaissante d'avoir accepté de faire le monitoring alors que je suis toujours installée sur mon ballon.

Je continue à souffler doucement sur la flamme de ma bougie imaginaire et à visualiser une colonne d'air qui descend jusqu'au périnée. Toujours cette impression de flotter un peu au-dessus de mon corps.


00h00. Nouvel examen, mon col est péniblement dilaté à 3,5 cm. On décide de me transférer au bloc naissances. C'est encore le brancardier Jean-Paul Sartre qui me transfère au bloc. Cette fois-ci, je ne demande plus à être levée à chaque contraction, je gère chacune d'entre elles avec la flamme de ma bougie, essayant de faire en sorte que mon souffle reste aussi léger qu'une plume. Je garde le visage enfoui dans mes mains, par pudeur: je trouve cette douleur indécente.

Salle d'accouchement numéro 3. Glauque et froide, mais après tout on n'est pas là pour enfiler des perles. Je suis accueillie par une étudiante sage-femme qui arbore un sourire un peu niais, ou plutôt hébété. Je m'installe en tremblant de tous mes membres sur la "table" d'accouchement, et me place instinctivement sur le côté. Prise de tension, monitoring des contractions, multiples tentatives pour monitorer le coeur du bébé: la position latérale rend la chose difficile. La sage-femme fait son entrée: la trentaine, petite, brune avec des lunettes. Tout en elle respire l'assurance et la maîtrise. Son regard est direct et profond, et je sens qu'elle me voit vraiment quand elle me parle: elle m'inspire confiance d'emblée. Elle s'appelle Mélissa, et je souris en découvrant ce prénom un peu olé-olé pour une femme si sérieuse et pleine d'assurance.

Examen du col: 4 cm. Je sais ce que ça signifie pour l'avoir déjà vécu: arriver au bloc avec une dilatation de 4, il y a de fortes chances que l'accouchement soit géré à coups de freins (la péridurale) et d'accélérateurs (l’ocytocine). Eh bien tant pis, c'est pas grave... c'est leur boulot, ils savent ce qu'ils font.

"Madame, souhaitez-vous la péridurale?". Ma réponse la fait sourire: "Ah ben oui j'veux bien là oui". Elle m'explique que le protocole médical impose que certains actes soient effectués avant la pose de la péridurale: me mettre sous perfusion et monitorer le coeur du bébé. Devant s'occuper de plusieurs accouchements en même temps, elle confie cette tâche à l'étudiante sage-femme au sourire hébété (dont, honteusement, je ne me souviens pas le nom). Une autre étudiante sage-femme vient prêter secours à la première, qui semble s'empêtrer dans les fils de la perfusion et me glisse que c'est son premier soir dans cette maternité.

La flamme de ma bougie commence à vaciller sérieusement: les contractions sont devenues tellement rapprochées (mais toujours aussi anarchiques) que je n'ai pas le temps de faire descendre ma colonne d'air jusqu'en bas. Je tente désespérément de raccrocher les wagons et de renouer mon pacte avec la douleur.

L'espace de quelques minutes, l'étudiante sage-femme parvient à monitorer le coeur du bébé. J'entends les battements de son coeur, et ce que j'entends ne me plaît pas: son coeur est clairement en train de flancher.

La flamme de ma bougie s'est éteinte complètement. La douleur se déchaîne en moi avec violence, pratiquement sans un seul moment de répit. Je perds pied... Je tends le bras en avant et secoue la main avec frénésie en regardant le visage tout malheureux de Sam: il accourt et vient me tenir la main. Il est mon ancre dans la réalité.


L'autre étudiante sage-femme se bat toujours avec ma perfusion, elle me fait mal, j'ai l'impression qu'elle confond ma veine et mon os. Ça me fait ricaner intérieurement (aujourd'hui encore, neuf jours après, j'ai toujours un bleu de 10 cm de diamètre à cet endroit-là).

La sage-femme revient et peste contre le monitoring, qui ne capte pas toujours bien les battements de coeur de bébé. Elle m'installe une sonde interne, afin qu'on ait un meilleur monitoring.

L'anesthésiste arrive. Encore un jeunot (à croire que ce sont les jeunes qui sont affectés de nuit, ce qui serait logique). Il me prévient gentiment qu'il va me faire une anesthésie locale avant la pose de la péridurale, et que "ça risque de piquer un peu". J'ai envie de lui rire au nez: moi, peur de sa petite piqûre, après tout ce que j'endure depuis des plombes? Je ne sens strictement rien quand il me pique. La péridurale mettra une vingtaine de minutes à faire effet.

En attendant... je perds de plus en plus pied. Les contractions se déchaînent à un rythme infernal. Je commence à entrevoir une vérité effrayante: la douleur peut rendre fou, j'en suis persuadée. J'ai les yeux fermés depuis longtemps.

On me met sous oxygène, car le monitoring du coeur du bébé n'est toujours pas rassurant, il faut que je supplémente mon bébé en oxygène. Entendre le rythme cardiaque de mon bébé chuter me fait paniquer. J'exprime ma détresse et mes craintes: "J'ai mal. Je vais perdre mon bébé!". Je les engueule presque.

Je rouvre les yeux, et suis surprise par le nombre de personnes présentes dans la salle d'accouchement: trois sages-femmes, l'anesthésiste, un interne et le chef de service. Ça sent le sapin. Le chef de service vient me parler, mais je suis incapable de me concentrer sur ce qu'il dit: mal, trop mal. Se concentrer sur le masque à oxygène, alimenter bébé.

Nouvelle chute du rythme cardiaque du bébé. Je crie à la sage-femme: "JE VAIS PERDRE MON BEBE!". Mais qu'est-ce qu'elle attend pour m'ouvrir le bide, elle voit pas que mon bébé a du mal à s'en sortir et qu'il souffre? La sage-femme tente de me rassurer: "Mais non, vous n'allez pas le perdre. Je vais devoir faire un prélèvement de sang sur le sommet de son crâne pour vérifier qu'il ne manque pas d'oxygène. D'accord, madame?". Evidemment que je suis d'accord, allez fais ton prélèvement et magne-toi, MAGNE-TOI!

"Oh!". Petit cri de surprise et mine stupéfaite des sages-femmes: mon col est complètement dilaté. En moins d'une heure, il est passé de 3 cm à 10 cm. La voix de la sage-femme change d'un coup, son ton se montre plus directif et insistant: "OK bon là on va pouvoir accoucher tout de suite."

C'est là que je sors la phrase la plus ridicule de la soirée: "Ah ben non c'est pas possible, la péridurale ne fait effet que dans dix minutes". Hi hi hi. Dans ma petite tête toute chamboulée, on bouscule l'ordre des choses tel qu'il était initialement prévu.

"Je ne peux pas. Je ne peux plus. Plus la force. J'y arriverai jamais." Aujourd'hui, avec le recul, si j'analyse ce bref passage qui débuta lorsque la flamme de ma bougie s'est éteinte et où j'ai perdu pied, je pense qu'il correspond à ce qu'on appelle communément la "phase de désespérance", cette fameuse phase que connaissent pas mal de femmes dans les dernières minutes qui précèdent l'effort expulsif. Eh ben voilà, j'y suis en plein dedans, la phase de désespérance.

La sage-femme parle un peu plus fort et tente d'accrocher mon regard: "Votre bébé souffre, il ne va pas bien. C'est maintenant." Ses mots pénètrent lentement mon esprit fatigué. Je commence à envisager le pire pour mon bébé. Et ma rage monte doucement. Tout ça pour en arriver à une fin funeste? Ces neuf mois de vie commune, de sensations uniques avec ce bébé, tout ça pour au final... rien? Laisser partir ainsi mon fils? le petit frère de piti Lucas? Je déborde de rage.

Je suis les instructions de la sage-femme et me mets en position pour accoucher. "Vous poussez quand vous le sentez, madame". Quand je le sens? Elle en a de bonnes, elle. A part ces saloperies de contractions, mon utérus n'est que douleur perpétuelle, je ne vois vraiment pas quand j... "FAUT QUE JE POUSSE, LA!". Aujourd'hui, je souris de ce cri spontané que j'ai poussé. Pour mon premier accouchement, je n'avais jamais eu la sensation du besoin de pousser, à cause d'une péridurale trop fortement dosée. C'est quand même hallucinant qu'on reconnaisse tout de suite ce besoin de pousser alors que c'est une sensation entièrement nouvelle et qui ne ressemble à rien de ce qu'on connaît. Ce besoin est impérieux et pressant, et le message est tellement clair qu'on ne peut pas se tromper sur son sens. Je pense qu'il serait impossible d'y résister.

J'ai donc poussé. De toutes mes forces. Chaque parcelle de mon corps est dévouée à cet effort. J'ai l'impression que mes efforts sont vains, mais les sages-femmes et Sam m'assurent que la tête du bébé est déjà là. Encouragée par leurs mots, je pousse encore. Je devine sans le sentir le geste vif de la sage-femme avec les ciseaux: une épisiotomie. M'en fous. Complètement. Elle peut bien signer le Z de Zorro sur mon sexe avec ses ciseaux, du moment que ça sauve mon fils, je m'en fous complètement.

Et je pousse encore, avec une telle rage que je crie dans l'effort. Je m'étais toujours demandé comment certaines femmes faisaient pour crier en accouchant: impossible de crier quand on a les contractions, on a beaucoup trop mal pour ça. Je réalise qu'à mon tour j'ai crié en accouchant, mais ce n'était pas du tout de douleur: c'était la rage de vaincre, pure et simple. Je suis restée enrouée pendant deux jours.

Sept minutes, quatre poussées, une déchirure, une épisiotomie.

01h11. Alors que je sens que mon fils sort de mon ventre et que mon utérus prend feu, de véritables cris de joie, ceux des sages-femmes et de Sam, emplissent la salle d'accouchement. J'attends. Très rapidement, j'entends une petite voix qui toussote, crachote, et crie: mon bébé. Nouveaux cris de joie dans la salle. J'explose en larmes, me cachant de nouveau le visage dans les mains.

On me pose mon bébé sur le torse, je le vois à peine, c'est un peu comme si j'étais ailleurs. J'entraperçois Sam qui coupe le cordon avec une mine réjouie. Je donne mon accord lorsqu'un sage-femme me demande l'autorisation d'emmener le bébé pour les soins. Je ne parle pas, je ne suis toujours pas là. Pourtant, il y a quelques instants mon fils avait été sur moi, mais je ne l'ai pas vu.

Sam me répète sans cesse qu'il est super fier de moi et que j'ai assuré comme un chef. Moi je me sens comme une merde: la phase de désespérance m'est restée en travers de la gorge, je n'ai pas aimé perdre pied ainsi et baisser les bras.

La sage-femme attend que la péridurale fasse enfin effet (mieux vaut tard que jamais), puis commence son joli travail de broderie tout en devisant gaiement avec moi. Oui, bébé va bien. Non, il n'a pas souffert de manque d'oxygène. Oui, ça a failli être une césarienne. Elle s'excuse de ne pas avoir eu le temps de me demander l'autorisation pour l'épisiotomie. Je la remercie au contraire d'avoir pris cette initiative pour stopper la déchirure. Je commence enfin à reprendre pied avec la réalité, et je me rends compte que je suis passée à côté de mon fils.

On me le ramène enfin, et on me le pose sur le torse. Je n'ai d'yeux que pour lui. Il entrouvre courageusement ses petits yeux malgré la méchante lumière des néons. Et chose qui me paraît incroyable mais qui est semble-t-il un réflexe naturel: il commence à me renifler comme un petit chien, puis à ramper jusqu'au sein. Et le voilà qui tète comme un petit chef, alors qu'il n'a même pas une heure de vie. Je ressens alors la même chose que j'avais ressentie lorsque Lucas était venu au monde: une vague d'amour immense, un véritable tsunami, quelque chose de vraiment incroyable.

Je te vois maintenant. Je te vois. Mon fils. Bienvenue, Arthur. Je t'aime.

2 commentaires:

Gablebo a dit…

Wow, félicitatioooooons ! Comme quoi la flamme et le vide hein... ;p
Je vous souhaite tout plein de belles choses à tous les quatre !

GBB

Mes recettes de fond de frigo a dit…

C'est dingue comme ton accouchement a ressemblé au mien... Moi aussi je m'en suis voulu longtemps d'avoir perdu pied et moi aussi j'ai enguelé le médecin qui lui me recousait comme un charretier. Et Eloïse aura 1 an dans 15 jours et tu verras c'est merveilleux... Je te laisse les coordonées de mon blog qui raconte la vie de maman apres l'épisode tout est merveilleux... et je serais ravie de revenir chercher des nouvelles d'Arthur très vite. Bienvenue Arthur dans ce monde de fou... Ta maman a magnifiquement raconté ton arrivé.... Je suis sur que tu as beaucoup de chance!
Mowgouaille
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