mardi 8 mai 2012

Encore un matin



Mercredi matin. Je sors de la rame de métro en même temps que les trois quarts des passagers. On piétine jusqu'aux escaliers, puis dans les escaliers, puis jusqu'aux tourniquets. La foule se sépare en trois courants qui s'orientent vers les différentes sorties. Direction au fond à gauche. Un couloir tout droit et bien long. J'entends des notes de musique un peu plus loin. Un homme a branché une guitare et chante Hey Jude. Pas mal, mais rien d'exceptionnel.

Jeudi matin. Rame de métro. Piétine, piétine, piétine. Trois courants. Au fond à gauche. Couloir. J'entends des notes de musique un peu plus loin. Une femme chante acapella Imagine. J'aime pas sa voix, elle manque de classe.

Vendredi matin. Rame de métro. Piétine, piétine, piétine. Trois courants.  Au fond à gauche. Couloir. J'entends des notes de musique un peu plus loin. Un homme dont la barbe et les cheveux sont tellement longs qu'ils se mêlent indistinctement ne chante pas, mais joue de la guitare. Il interprète The sounds of silence. C'est joli.

Lundi matin. Rame de métro. Piétine, piétine, piétine. Trois courants. Au fond à gauche. Couloir. J'entends des notes de musique un peu plus loin. Un couple vient à peine de se mettre en place. Lui à la guitare, elle au chant. Mrs Robinson.

Mardi matin. Rame de métro. Piétine, piétine, piétine. Trois courants. Au fond à gauche. Couloir. J'entends des notes de musique un peu plus loin. Une très jeune femme métisse joue de la guitare sèche sans ampli et chante d'une voix claire Let it be. Joli brin de voix, mais ils connaissent autre chose que les Beatles et Simon & Garfunkel dans le coin? *Soupir*

Mercredi matin. Rame de métro. Piétine, piétine, piétine. Trois courants. Au fond à gauche. Couloir. Je n'entends pas de musique. Ah, on a sûrement affaire à une petite voix fluette aujourd'hui. Allez, lançons les paris: les Beatles ou Simon & Garfunkel ce matin? Pfffff. Toujours pas de notes de musique. Je suis arrivée au bout du couloir, il n'y a pas d'artiste ce matin. Je poursuis ma route.

Jeudi matin. Rame de métro. Piétine, piétine, piétine. Trois courants. Au fond à gauche. Couloir. Je n'entends pas de musique. Je me mets sur la pointe des pieds pour voir jusqu'au bout du couloir. Rien, pas d'artiste. Je me rends compte que je suis déçue: un sentiment de vide, il manque clairement quelque chose. Je soupire et je reprends ma route vers la sortie.

Vendredi matin. Rame de métro. Piétine, piétine, piétine. Trois courants. Au fond à gauche. Couloir. J'entends des notes de musique un peu plus loin. Une femme un peu ronde s'est lancée dans Rehab, c'est pas mal mais il y a quelques accrocs dans le rythme. M'en fous, je suis contente qu'elle soit là: je me rends compte que chaque matin je m'attends à faire ces petites rencontres musicales éphémères, que c'est désormais intégré à mon rituel, et que ça crée un vide quand ce n'est pas là.

J'essaie désormais de toujours avoir une ou deux pièces dans ma poche pour ces musiciens qui animent ce début de journée... Même pour Imagine ou Mrs Robinson.

jeudi 15 mars 2012

L'Autre - Spécimen numéro 6


Il nous arrive à tous de tomber sur des gens qui nous surprennent. J'adore être surprise par le décalage qu'il peut y avoir entre moi et... l'Autre. Des situations où m'imaginer à la place de cet Autre me paraît totalement inenvisageable, des situations où l'Autre me surprend, tout simplement. En voici un exemple.


Jeudi matin, 8h30. J'ai le coeur un peu lourd: aujourd'hui je vais dire au revoir à nouveau, et je n'aime pas ça. Je me réjouis à l'avance du resto prévu avec les collègues, mais je suis un peu fébrile, car je ne suis pas sûre de pouvoir contrôler une certaine émotion.

Chemin des Capelles à Toulouse, je l'emprunte deux fois par jour. Je n'aime pas cette route: elle n'est pas en très bon état, criblée de plaques d’égout qui vous secouent quand vous roulez dessus, elle est assez moche et parsemée de quelques maisons défraîchies voire abandonnées. Cerise sur le gâteau: un passage à niveau immobilise les automobilistes devant l'école véto pendant un temps qui paraît infini, et les trains ne sont pas rares.

Tiens, en voici d'ailleurs un. Pffffffffff punaise que c'est long. Et en plus il n'y a que des pubs horripilantes à la radio, essayons RTL2. Ah et puis maintenant il faut laisser passer la floppée de futurs vétos qui sortent du train et se dirigent vers leur école. Allez-y m'sieurs dames, d'toute façon au point où j'en suis dans l'attente hein... RTL2 passe de la pub aussi! Houlàààààà je suis râleuse ce matin (si si, pire que d'habitude). Je n'aime vraiment pas les adieux...

Enfin, je peux avancer! Aaaaaaaahhhhhh... Mais qu'est-ce qu'il se passe là? Pourquoi ça bouchonne??? De loin, je devine des travaux. Re-pfffffffff. Bon, essayons Chérie FM... c'est quoi ce truc déprimant, ils se prennent pour Radio Nostalgie ou quoi?

On avance par saccades, il doit sûrement y avoir une circulation alternée. Nous voilà bien. Pour une fois que j'étais pas trop à la bourre... Le Mouv, RTL2, Chérie FM, Virgin, "CLAC" j'éteins la radio d'un geste sec et un tantinet agacé. Soupir et tapotement du bout des doigts sur le volant. Nouvelle saccade, j'avance.

Je vois les ouvriers qui bossent, il y en a un en charge de la circulation avec un panneau, vous savez le panneau vert d'un côté, en sens interdit de l'autre côté. Rapidement, mon attention est focalisée sur lui. C'est qu'il nous fait un véritable show!

Le casque de chantier posé de travers sur la tête façon Gavroche, une sucette négligemment suçotée, voilà qu'il s'amuse avec son panneau et se met à singer les gardes du palais de Buckingham. La jambe levée bien haut et bien raide à chaque pas, le panneau porté comme un fusil, le regard lointain et la moue concentrée, tout y est. Panneau vert, nouvelle saccade.

Hop, il virevolte, à mi-chemin entre le garde de Buckingham Palace et le pizzaïolo qui fait tourner sa pâte à pizza, panneau en sens interdit. Je m'arrête, presque contente de me taper le sens interdit. J'ai tout le loisir d'observer le phénomène. Il est tout simplement désopilant. Voilà qu'il arpente le trottoir en pas chassé en faisant des mouvements synchronisés avec son panneau levé bien haut.

Nouvelle pirouette, panneau vert, je redémarre avec regret.

Rond-point, avenue de Lardenne, avenue Maxwell, poste de garde. Je glousse pendant tout le trajet, et c'est avec les yeux pétillants et le sourire collé aux lèvres que j'arrive aux portes de mon boulot.

Merci monsieur, vous avez considérablement illuminé ce début de journée.

lundi 6 février 2012

Mon luxe à moi


"Pourquoi? Pourquoi tu veux tout plaquer pour partir au Canada?"

La question, pourtant simple et sans équivoque, m'a rarement été posée. Peut-être par crainte de se montrer trop curieux, peut-être par envie de se montrer discret, peut-être par conviction personnelle de déjà détenir la réponse, peut-être par peur de la réponse elle-même.

Un projet d'émigration, lorsqu'il s'agit d'une émigration choisie et non d'une question de survie ou de fuite, est surprenant de par la multitude de ses facettes. C'est comme un oignon: on enlève chaque couche l'une après l'autre, et puis finalement quand on les a toutes enlevées certains sont surpris de ne pas trouver de noyau, de coeur, jusqu'à ce qu'ils comprennent que l'âme d'un tel projet est constituée de l'ensemble de toutes ces couches successives, et qu'il était dès le départ bien vain de vouloir en atteindre le coeur.

Bien sûr il y a toutes les raisons évidentes, bateau, mais néanmoins réelles: un marché du travail stimulant, des paysages à tomber, un environnement bilingue, et surtout une ouverture pour les enfants. Bien sûr. Tout ceci est vrai, à mon sens.

Ces raisons évidentes vous font prendre la décision: "C'est décidé, on part! Youhou!".


Entre le moment où la décision se prend et le moment où vous commencez à prendre les premières mesures concrètes, des mois passent... accompagnés de leur lot de réflexion et de doute. Ah, le doute... tellement invivable et... tellement nécessaire. Ce doute repose sur un postulat de départ désarmant de simplicité: on sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on gagne. C'est vrai, quoi! Quoiqu'en disent les éternels insatisfaits capricieux, il fait bon vivre en France (si si, vraiment!), et puis j'ai un bon boulot dans une bonne boîte, et puis on est propriétaires de notre logement, et puis en termes de paysages à tomber la France n'a clairement pas à rougir, et puis on a un système de santé qui certes coûte cher au pays mais qui rend de fiers services à ses habitants, et puis et puis et puis...Vous savez quoi? J'ai fini par me rendre compte que ce postulat, "On sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on gagne", était aux antipodes de moi. S'accrocher farouchement à ses acquis, et surtout ne rien faire qui risquerait de nous en faire perdre un seul... URK!!!

La première pelure d'oignon vient de tomber. Les raisons évidentes sont toujours là, réelles, mais le projet commence à prendre une dimension supplémentaire, construite par la sempiternelle introspection, ma meilleure amie, ma meilleure ennemie.

Je me rends donc compte qu'autre chose me plaît et me ressemble dans ce projet: devoir tout recommencer à zéro. Tellement stimulant, tellement difficile, tellement valorisant, tellement nouveau. En un mot, ou plutôt en quatre, le sens du challenge. On peut naître avec le sens du défi, mais on peut aussi le vivre un jour et y prendre goût, tout simplement. Un jour, moi la Khâgneuse, moi la littéraire, moi la nulle en maths, j'ai compris qu'on me donnait une chance de m'en sortir professionnellement en m'ouvrant les portes de l'IUT informatique. Des heures et des heures et des heures passées à rattraper mon retard en maths, à bosser jusqu'à m'en abrutir, à faire plier mes élans littéraires devant la rigueur de la logique binaire. Défi relevé, mais je n'en tire pas plus de gloire que ça, car la chance était avec moi, deux fois: d'abord en mettant sur ma route un directeur d'IUT qui a accepté de me donner ma chance, et ensuite en ayant un véritable coup de foudre pour l'informatique. Bref... relever un défi vous transforme, et vous rencontrez alors le meilleur de vous-même. Comment se satisfaire alors du ronron quotidien et de la douce torpeur des années qui passent après ça? L'appel du nouveau défi, toujours plus difficile que le précédent, se fait entendre de façon de plus en plus insistante.

Alors que votre projet d'émigration poursuit sa petite vie en tâche de fond (ah oui, ça vous apprend la patience ce genre de démarches), votre introspection fait de même. Parfois, vous aimeriez qu'elle s'arrête, car ce que sa petite voix vous murmure à l'oreille n'est pas toujours ce que vous auriez envie d'entendre. Et puis, une autre voix, qui était là depuis le début mais que vous vous efforciez avec soin de ne pas écouter, décide qu'il est temps qu'on l'entende: la voix de la responsabilité. Responsabilité envers le passé (les proches que l'on laisse derrière soi) et responsabilité envers le futur (les proches que l'on emmène avec soi, c'est-à-dire les enfants, puisque Sam a le bonheur ineffable de partager cette responsabilité avec moi hi hi hi). Doutes, cas de conscience, doutes encore, inquiétude, doutes à nouveau, culpabilité, doutes encore et toujours. On tente alors de reprendre son souffle... mais l'air a tendance à manquer. L'abandon se profile à l'horizon, mais vous n'en parlez à personne, car vous avez honte.


Les mois coulent et coulent encore... vous avez mis un mouchoir sur vos doutes, et vous vous dites qu'il sera toujours temps de prendre une décision le moment venu. La responsabilité et la culpabilité sont toujours là, et vous en tenez compte lorsque votre introspection poursuit sa spirale infernale. Il existe certains évènements dans votre vie qui vous font réfléchir encore et toujours plus et qui vous amènent jusqu'aux fondements de soi, la vie, la mort: ces évènements sont une naissance, un décès, une révélation mystique, un déracinement... par exemple. Car entendons-nous bien: un projet d'émigration, même s'il est volontaire, est un déracinement.

Alors que votre projet d'émigration ronronne doucement dans son coin comme s'il n'était pas le vôtre, d'un seul coup vous rencontrez des gens, on vous propose un travail, vous voyez les photos de votre futur lieu de travail, vous trouvez un logement, un déménageur vous fait un devis. Du concret. Vous sortez de votre torpeur. Le doute est toujours là, mais maintenant vous le regardez avec bienveillance, car vous comprenez qu'il est un garde-fou. Vous regardez votre projet bien en face et vous vous rendez-compte que vous adhérez complètement. Vous prenez alors conscience que ce projet, vous l'avez cherché, vous l'avez voulu, pour tout un tas de raisons toutes aussi vraies et valables les unes que les autres. Vous l'avez voulu pour votre famille. Mais vous l'avez aussi voulu pour vous, et vous prenez alors conscience que ce projet mérite peut-être bien cette appellation de "nouvelle vie" que vos proches se plaisent à lui prêter.


Le départ est prévu dans moins de deux mois. Il y a parfois des imprévus, des choses qui font que finalement vous ne pouvez pas partir, je ne l'espère pas mais je ne contrôle heureusement pas tout, donc on verra ce que la vie nous réserve. Quoi qu'il en soit, quoi qu'il se passe, que l'on parte ou non... quelque chose aura changé, on aura changé. Un projet d'émigration ne laisse personne inchangé.

Non, je ne m'attends pas à trouver mieux au Canada. Je m'attends à trouver différent. C'est tout. Et c'est à la fois peu... et énorme.

Et si le vrai luxe... c'était de vivre plusieurs vies en une seule?

lundi 19 décembre 2011

Derrière la porte close


Le premier mot qui vient à l'esprit quand on les rencontre, c'est "jeunes".

Il n'ont pourtant plus dix-huit ans, ils seraient plus proches des vingt-six ou vingt-sept ans, mais ils vivent comme des jeunes. C'est le tuyau du soir: si vous voulez avoir l'air jeunes, vivez comme des jeunes!

Tous deux électroniciens, ils ont acheté cet appartement toulousain il y a environ quatre ans. Alors que je leur fais part de mes quelques déceptions quant à notre propre achat immobilier, ils débordent d'enthousiasme vis-à-vis du leur, en vantent tous les avantages et réaffirment leur satisfaction: ils sont contents de la vie qu'ils se sont choisie. Ma foi... c'est plutôt bien. Au final, je me suis d'ailleurs rangée à leur avis sur le sujet de l'achat immobilier.

Les années ont passé. Ils nous ont vus avoir notre deuxième enfant. On les a vus se marier.

Nous nous sommes vus régulièrement. Pas seulement parce que nous sommes voisins de palier, mais aussi parce que de temps en temps nous nous invitons mutuellement: un apéro par-ci, un dîner improvisé par-là, le tout en finissant par une partie de fléchettes (ils ont une cible sur la porte des toilettes!) ou par une partie de Robot-Rallye. On voit bien qu'on n'est pas forcément des amis très "assortis": on a dix ans de plus, et on est parents. Mais qu'à cela ne tienne, le courant passe bien, et je me prends d'affection pour ce couple qui me rappelle mes années étudiantes.

Lors de furtifs moments coupables, il m'est même arrivé de les envier. Lorsque je suis devenue maman, j'ai mis mon moi entre parenthèses. Un sacrifice naturel que me fait oublier le moindre sourire de mes enfants (la nature est bien faite ah ah ah). Aussi, lorsque j'ai vu vivre ce jeune couple, il m'est arrivé d'envier leur liberté, leur insouciance, leurs innombrables loisirs, leurs soirées festives, leurs grasses matinées, leurs fous rires un peu arrosés dans le couloir de l'immeuble au milieu de la nuit (hi hi hi), sa capacité à elle à être toujours féminine, maquillée, soignée, bien habillée.

Rassurez-vous, ami lecteur, aucune amertume dans ce que je dis. (N'empêche, vivement que mes enfants soient grands pour que je puisse faire ce que je veux, na! ah ah ah mes chéris je vous aime plus que tout au monde)

Ce que j'ai admiré par-dessus tout, c'est la capacité de ce couple à s'épanouir chacun de son côté avec mille et un loisirs (cours de rock, dessin, etc) tout en s'entendant aussi bien et en rigolant autant ensemble.

Vous devinez la chute de mon histoire? si oui bravo, parce que moi je n'ai rien vu venir.

La nouvelle est tombée la semaine dernière, six mois après leur mariage ils se séparent. "On faisait tout chacun de notre côté de toute façon, alors autant se séparer".

Cette histoire m'attriste profondément et sincèrement.

Il est difficile, tellement difficile, de trouver un compromis même pas satisfaisant mais supportable, entre le boulot, la famille, les loisirs et l'épanouissement de soi. Une vraie quête du Graal.

Leur histoire me rappelle ô combien on ne sait jamais ce qu'il se passe chez quelqu'un... une fois la porte close.

jeudi 17 novembre 2011

L'Autre - Spécimen numéro 5


Il nous arrive à tous de tomber sur des gens qui nous surprennent. J'adore être surprise par le décalage qu'il peut y avoir entre moi et... l'Autre. Des situations où m'imaginer à la place de cet Autre me paraît totalement inenvisageable. En voici un exemple.


Une semaine de formation en région parisienne, il y a de cela plus de cinq ans.

C'est le premier jour de la formation, il est midi. D'autres employés de ma compagnie participent à cette formation, des techniciens avant-vente et des ingés. Nous décidons de partir ensemble en quête d'un petit resto sympa.

Nous trouvons rapidement notre bonheur: un resto chinois, une valeur sûre pour satisfaire la majorité des membres de notre petit groupe de cinq personnes. Dans ce petit groupe, il y a une grande gueule. Ce grand Lillois moustachu n'est pas forcément antipathique, il est même plutôt jovial, mais je le trouve un peu lourd et commence déjà à me dire que la semaine va être longue.

Nous sommes rapidement accueillis par un serveur asiatique très souriant, aimable et poli. A peine assis à table, nous voilà en train de consulter le menu avec enthousiasme et bonne humeur. Notre Lillois se met à commenter chaque ligne du menu en prenant un accent chinois caricatural. Lourd mais bon, pas méchant, le serveur est trop loin pour l'entendre.

Le serveur revient avec ses chips à la crevette, puis prend notre commande. Et là... patatras: le Lillois lourdingue passe non seulement sa commande avec cet horrible accent chinois contrefait, mais en plus répète la commande de chacun d'entre nous en la traduisant toujours avec cette caricature d'accent. Le serveur sourit un peu moins, moi je suis estomaquée et je regarde le Lillois avec un air indigné. Les autres convives baissent la tête avec un air gêné.

Un peu plus tard, les entrées sont servies par notre serveur qui a retrouvé le sourire, et là re-patatras: "Dites voir, vos baguettes là elles viennent vraiment de chez vous?". Le tout avec, je vous le donne en mille, l'horrible faux accent chinois. Je m'étrangle et tente d'engager la conversation avec quelqu'un d'autre.

Je redoute l'arrivée du plat principal, et je fais bien: "Dites voir" (chaque fois qu'il commence une phrase par ces mots, je sais qu'il va dire quelque chose d'insupportable, alors je rentre la tête dans les épaules); "Dites voir, vous savez que normalement vous n'avez pas le droit en restaurant d'utiliser ces petits paniers en bambou pour faire cuire les aliments? ce n'est pas hygiénique". Oh punaise mais il n'y aura donc personne pour le faire taire, ce crétin?

Le supplice du faux accent chinois aura duré jusqu'à ce qu'on sorte du restaurant. Je ne me souviens même plus ce que j'ai mangé, ni même si c'était bon, cet ignoble individu avait gâché le repas de tout le groupe, et probablement aussi la journée du pauvre serveur (qui est resté d'un calme olympien, il faut bien le dire).

Le lendemain, nous sommes allés manger un couscous avec les mains dans un restaurant marocain... sans lui.

mercredi 16 novembre 2011

Fin de carrière


La nuit arrive tôt. Je suis seule au travail, assise à mon bureau, un bureau que nous partageons à quatre habituellement, mais ce soir mes collègues sont tous partis tôt. Mon moment préféré de la journée de travail: il fait nuit à travers la baie vitrée dans mon dos, les couloirs sont silencieux, l'ambiance est calme et propice au travail et à la réflexion.

Une employée passe dans le couloir, je la devine par ma porte ouverte. Elle s'arrête, rebrousse chemin et entre dans mon bureau pour engager la conversation. Je suis un peu surprise. D'habitude, elle ne me voit qu'à peine, car pour elle je fais partie de la bande de jeunes délurés geek qui font un truc abominable à ses yeux: pire que de l'unix, du Linux. Le comble de la bidouille.

Michèle est probablement proche de la retraite, et elle est ingénieur sur gros systèmes mainframe (CICS, Z-Os). Des systèmes que je ne connais que de nom parce que certains profs de l'IUT info avaient estimé (à raison) que connaître au moins de nom ces "vieux" systèmes centralisés était indispensable à la culture de base de tout informaticien. Des systèmes bien connus pour leur fiabilité... mais aussi pour leur coût absolument faramineux.

Le verdict, prévisible, est donc tombé il y a déjà pas mal d'années dans ma compagnie: le mainframe est abandonné, au profit des open systems (et plus particulièrement Linux). C'est dans le sens de l'histoire de l'informatique, une technologie ne reste pas nouvelle bien longtemps et de toute façon le facteur coût est déterminant.

"Qu'est-ce que tu penses du fait de déplacer la travée, là? parce qu'il faudrait pas qu'on se retrouve avec le poteau dans le bureau, on va plus avoir de place."

D'abord un peu amusée par son intérêt très vif pour le fait de voir l'organisation de nos bureaux changer un peu, je comprends vite que l'enjeu lui, est tout à fait sérieux.

Choix un peu surprenant, le bureau des ingénieurs mainframe est pile entre le bureau linux et le bureau des technologies internet. Pour caricaturer: la vieille techno écrasée par les deux symboles de la nouvelle techno.

Et il se trouve justement que le bureau linux gagne une travée de plus, travée qu'il vole au bureau mainframe. Tout un symbole.

Je commence à redouter que Michèle ne me déverse son flot d'amertume, vous savez l'inévitable reproche que fait celui qui disparaît au profit de celui qui s'épanouit. Je me trompe. Michèle me demande... si je n'aurais pas quelque chose à lui faire faire.

Devant ma mine incrédule, elle cherche à s'expliquer et là... les paroles coulent. Sans amertume ni tristesse, un simple constat édicté sur un ton plat.

La lenteur avec laquelle son activité meurt, ou plutôt agonise. Le refus de la direction de la laisser partir sur un autre poste: et oui, malheureusement pour elle, Michèle est une pointure dans son domaine. Impossible de la laisser s'échapper tant qu'il reste un petit bout de CPU quelque part qui fait tourner du code qu'elle seule est capable de dépanner. Le refus de la direction de lui confier un double-poste comme elle le demande ardemment, refus probablement né de la crainte des syndicats (si puissants dans cette compagnie). Le sentiment de se retrouver prise au piège comme un rat, sa carrière finie alors qu'à 52 ans elle se sent encore pleine de ressources (52 ans fichtre je la pensais moins jeune). La difficulté pour elle d'avaler cette pilule-ci, alors qu'à la maison elle doit déjà supporter la crise d'adolescence de ses enfants.

Michèle a fini de parler. Elle sourit faiblement, et me montre ce qu'elle vient d'aller chercher à l'imprimante: un dessin de dinosaure. Toujours en souriant, elle scotche le dessin sur la porte de son bureau, éteint la lumière, me dit au revoir et s'en va.

Je reste assise devant mon écran, le regard un peu vide. L'histoire de cette femme me parle, bien évidemment... car je sais qu'elle est le reflet potentiel de mon futur. L'informatique est un domaine passionnant, innovant, mouvant, plein de défis à relever... mais il faut savoir que ce domaine d'activité a les défauts de ses qualités.

lundi 5 septembre 2011

L'Autre - Spécimen numéro 4


Il nous arrive à tous de tomber sur des gens qui nous surprennent. J'adore être surprise par le décalage qu'il peut y avoir entre moi et... l'Autre. Des situations où m'imaginer à la place de cet Autre me paraît totalement inenvisageable. En voici un exemple.

Connaissez-vous le quartier Ancely à Toulouse? C'est là que nous habitons depuis cinq ans (le temps file, décidément), et nous y faisons régulièrement des balades: c'est que le parc y est vaste et agréable.

C'est samedi, il est près de 16h00, Lucas vient de goûter et nous terminons une belle balade dans le parc. "Oh, un petit chien!". Tiens oui, on dirait un machin type bichon ou autre boule de poils. Courageux mais pas téméraire, Lucas se place instinctivement derrière moi.

Une voix de crécelle un peu mielleuse tente de le rassurer: "Ne t'inquiète pas, Brigitte est très gentille, elle ne te fera pas de mal". D'abord amusée d'entendre que le chien porte un nom humain, j'ai du mal à cacher ma surprise quand je vois la propriétaire de Brigitte.

Cette femme est aux antipodes de moi, tant et si bien que je ne la comprends pas et que je l'observe comme une bête curieuse.

Elle a la cinquantaine bien tassée, et en pleine après-midi elle porte une robe de chambre rose avec un col froufroutant style "boa". Dépassant de sous la robe de chambre, de la dentelle blanche témoigne de la présence de ce qui autrefois s'appelait peut-être un jupon. Aux pieds, des mules, roses bien évidemment, arborent fièrement des plumes, toujours roses, qui s'agitent doucement au vent.

Sa tête est recouverte de gros bigoudis à l'ancienne, bigoudis roses et blancs, et le tout est emberlificoté dans une sorte de filet, rose lui aussi (vous savez, le genre de filets à citrons?). Les yeux sont maquillés dans les tons beiges, et deux ronds roses bien distincts ornent les pommettes.

Pendant qu'une main recouverte de bagues resserre l'encolure de la robe de chambre, l'autre main porte un cigarillo dans un geste précieux.

Je me rends compte avec stupéfaction que cette femme est la fille naturelle de deux personnages imaginaires qui m'ont marquée:


Tiens, c'est d'ailleurs l'heure du quizz: qui saura me dire comment s'appellent ces deux personnages? Essayez de répondre sans l'aide de Google pour voir...

samedi 9 juillet 2011

L'Autre - Spécimen numéro 3


Il nous arrive à tous de tomber sur des gens qui nous surprennent. J'adore être surprise par le décalage qu'il peut y avoir entre moi et... l'Autre. Des situations où m'imaginer à la place de cet Autre me paraît totalement inenvisageable. En voici un exemple.

Elle est coquette, très coquette. Perchée sur des talons-aiguilles de 12 cm, elle marie avec bonne humeur le jean, le cuir et le coton. Les vêtements sont près du corps, les chaussures toujours assorties au sac à main et au tee-shirt. Les cheveux sont lâchés, très longs et bien raides, illuminés de mèches claires toujours impeccablement entretenues, parfois négligemment retenus par des lunettes de soleil style aviateur.

Elle a dû souffler ses quarante bougies il y a peu, et elle donne l'impression d'être à son apogée. Elle n'est pas jolie, mais se comporte comme si elle l'était, et, ma foi, cela ne la rend pas désagréable. Son assurance et son sourire inspirent la sympathie. 

Cinq filles et un garçon. Six enfants, six. Pas un de moins. Elle ne se déplace jamais sans qu'une nuée d'enfants rieurs ne tournoient gaiement autour d'elle. On n'a jamais vu son mari, mais il doit forcément exister: une immaculée conception passe encore, mais six! 

Elle est clairement une des figures marquantes du quartier. Elle se montre attentive à son entourage, allant même jusqu'à beugler "Salut Lucas!" depuis l'autre bout de la rue quand elle nous aperçoit. Il faut dire que notre piti Lucas est surnommé "Le plus joli Bonjour du quartier", et qu'on n'est pas peu fiers de lui.

Alors que j'attendais Arthur et que j'étais enceinte jusqu'aux yeux, elle m'avait abordée, désireuse de parler grossesse, maternité, enfants. C'est une Femme. Capable de gérer six enfants et de rester féminine, moi qui ai pris le look camionneur depuis que j'ai deux enfants je dis chapeau.

On la voit souvent. Dans la rue. A l'école. A la poste. A la pharmacie. 

Et puis vient un moment... où je la vois moins.

Et quand je la revois... elle porte un tchador. Adieu les tenues sexy, adieu les talons aiguilles, adieu le brushing impeccable, adieu le maquillage. Elle a pris quinze ans d'un coup. 

Elle ne sourit plus, mais j'arrive encore à accrocher son regard quand je la croise.

Les semaines passent, et je la vois de moins en moins. Je lui dis bonjour. Elle ne répond plus. 

Le contact est rompu.


Cette histoire me met mal à l'aise. Non pas à cause du fait qu'elle se soit convertie à l'islam, ça après tout c'est son choix et je m'en fiche. Mais on ne me fera pas croire que cette femme va bien: elle ne sourit plus, sort moins, ne dit plus bonjour.

Je pourrais aller la voir et lui demander si elle a besoin d'aide ou tout simplement besoin de parler, n'est-ce pas? Seulement voilà: ce ne serait pas politiquement correct. Quelque chose ne tourne pas rond. Ça en devient étouffant. Ben oui, on me sauterait dessus tout de suite en me taxant d'islamophobie ou autre stupidité de ce genre. Imaginez l'absurdité de tout ce débat pour quelqu'un d'athée comme moi. J'ai envie de leur dire à tous: "Mais de quoi vous me parlez là? On s'en fout de la religion, vous ne voyez pas qu'elle est devenue l'ombre d'elle-même?". 

Non non non, en France il serait mal vu que je m'inquiète du mal-être d'une femme qui vient de se convertir à l'islam. Et pourtant...


samedi 14 mai 2011

Je suis allée... au salon du jeu video ancien


 Bon. Ceux qui me connaissent IRL savent peut-être à quel point je suis geek. D'ailleurs, si vous ne savez pas ce que signifie IRL, c'est que vous êtes à des années lumière de la geek attitude, hi hi. Geek, moi? Voyons voir: rôliste acharnée, j'ai même rencontré mon mari dans un club de JDR (si, si, je vous assure!), je suis assez fan de Star Wars pour avoir dit un jour à un collègue "La sonnerie de ton téléphone, c'est la musique qui est jouée dans le bar où Luke et Obiwan rencontrent Han Solo dans l'épisode A new hope" (je l'ai scotché là, sur le coup), j'ai joué à quantité de jeux video de l'univers Star Wars, je suis aussi une inconditionnelle de LOTR, Conan et Willow, mon livre de chevet s'appelle WOT, et avant d'être maman je calais mes dates de congés sur les dates de sortie de mes jeux video de prédilection. N'en jetez plus, la coupe est pleine.

Bref, on est allés traîner nos tongues au salon du jeu video ancien qui s'est déroulé les 7 et 8 mai près de Toulouse. On est bien sûr tombés sur un copain rôliste (euh oui les rôlistes c'est une toute petite famille). On est aussi bien sûr tombés sur nos coups de foudre de jeunesse. Rhâlalalalala quelle joie ineffable de rejouer à Sonic la vieille version, avec la manette énorme, la musique que je connais par coeur. Les fous rires sont toujours au rendez-vous. Sans parler des toutes premières versions de Mario, DonkeyKong, le jeu Lemmings (ah combien d'heures de prise de tête sur celui-là), incontournable Tetris, Berserk, INOUBLIABLE Space Invaders, le bon vieux Ping Pong,... et plein de jeux que j'ai reconnus mais dont le nom ne m'est malheureusement pas revenu.

On a tous apprécié cette plongée dans les années 80 principalement et un peu 90. Le design a pris un coup de vieux, mais l'attrait est toujours là: il n'y a qu'à voir la bouille émerveillée de la nouvelle génération, fièrement représentée ici par Lucas.

Ah, ça fait du bien.



Allez, j'ai pitié des non-initiés:
- IRL = In Real Life. Ca fait référence à notre vraie vie, par opposition à notre vie virtuelle, numérique.
- JDR = Jeux De Rôles. Vous voulez vraiment que je vous explique ce que c'est? Euh... c'est un peu compliqué là...
- LOTR = Lord Of The Rings. Le Seigneur des Anneaux. Je suis résolument fan du bouquin (je ne sais même plus combien de fois j'ai lu la trilogie), et j'ai pas mal apprécié l'adaptation cinématographique.
- WOT = Wheel Of Time. La Roue du Temps. J'ai tendance à le relire à des moments importants de ma vie, la dernière fois remonte à la naissance d'Arthur.

C'est l'heure du bain


La vie de Lucas est ponctuée de nombreux rituels. Parmi ceux-ci, le bain.

Il arrive que nous soyons pressés et que le bain se transforme en douche, à la grande déception de Lucas. Il adore le bain. Un ensemble de rites accompagnent le simple plouf.

En général, je m'installe sur un tabouret, je décompresse de ma journée de boulot, parfois j'ai un magazine ou une BD. Et tout en jouant, Lucas parle. Beaucoup, avec enthousiasme et sans interruption. La plupart du temps, c'est pour parler de quelque chose qui s'est passé à l'école, ou encore d'une énième aventure d'un chevalier Jedi, ou encore il s'agit d'un combat contre une entité virtuelle, combat à l'épée tout aussi virtuelle ou au fusil à eau, bien réel lui.

En tant que maman, je sais qu'il y aura des sujets à aborder avec mes enfants, je sais qu'il y aura des questions auxquelles je me devrai de répondre, que j'en aie envie ou non. Je me suis préparée à certaines questions. J'en ai envisagé certaines, mais mon inconscient a bien pris le soin de faire en sorte que je n'y pense pas du tout. Pas de bol, l'interro surprise est tombée pile sur le sujet où j'avais fait l'impasse.

"Maman, est-ce que tout le monde meurt?"

Et merde.


- "Maman, est-ce que tout le monde meurt?"
- "Oui"

Gros silence. Il tripote machinalement son fusil à eau.
- "Mais quand? quand est-ce qu'on meurt?"

Je n'ai pas le courage, j'édulcore:
- "On meurt quand on est très très vieux."
- "Oui mais papa et toi vous ne serez jamais très très vieux?"
- "Ah ben si Lucas, papa et moi un jour on sera très très vieux."
- "Mais non!"

Je ne dis rien, je vois bien qu'il digère l'information. Il a une sale tête, du genre "sortez-moi de là".
- "Mais je veux pas, vous allez pas mourir."

Je m'apprête à répondre, mais il enchaîne:
- "Et moi? et moi alors, je vais mourir aussi???"

Ma bouche se remplit de sable.

Imaginer mon fils mort est une idée insoutenable, rien qu'à l'écrire ainsi sur mon blog j'ai envie de vomir.

Il faut que je lui réponde, il comprend mon silence... ses yeux sont en train de se mouiller de larmes.

- "Oui Lucas, un jour toi aussi."
- "Mais je veux pas! Non je veux pas mourir! J'ai peur!"

Il pleure tout à fait maintenant. Je me sens mal, vraiment mal. Putain, il a quatre ans, et il découvre l'insoutenable condition humaine. Je ne pouvais quand même pas lui faire croire qu'il était immortel, je ne pouvais pas lui mentir sur quelque chose d'aussi important... si?... Non, bien sûr que non.

- "Mais ne t'inquiète pas, Lucas. Tu seras très très vieux, tellement vieux et tellement fatigué que tu seras bien content de te reposer enfin."

Ma réponse le rassure, il sourit même. Et c'est le visage éclairé qu'il me demande enfin:
- "Et après qu'on est mort, qu'est-ce qu'il y a?"

Et re-merde.

Athée, je suis athée, complètement athée.

Mais mon fils, le sera-t-il lui? Aucune idée et après tout... ce n'est absolument pas à moi de l'influencer là-dessus, que ce soit dans un sens ou dans l'autre. Je donne donc la seule réponse que j'estime avoir le droit de donner:
- " Je ne sais pas, Lucas".


Plusieurs petites choses différencient les hommes des animaux.Parmi les plus importantes, il y a le rire, la raison... mais aussi la conscience profonde de notre condition mortelle. Il y a des moments, j'aimerais tellement que nous soyons des animaux... tellement.